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Portail:Balkans/Image du mois

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Symbole de la superposition des cultures dans les Balkans, la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul.

Résumant la superposition des cultures dans les Balkans, la basilique Sainte-Sophie, église durant un millénaire, mosquée durant cinq siècles et musée durant 86 ans, est aujourd'hui objet d'une polémique en Turquie, où des associations religieuses viennent d'obtenir son retour au statut de lieu de culte musulman.

Elle s'élève au cœur de la vieille ville d'Istanbul, jadis Constantinople, première ville des Balkans par sa population et son étendue depuis seize siècles sans interruption, et capitale impériale durant plus de quinze siècles, romaine d'Orient (byzantine) puis turque ottomane.

Le territoire européen de la Turquie représente 0,2% de la surface du continent européen et 3% du territoire turc, mais sur les 53 millions de Balkaniques, 14 millions y vivent. Istanbul, même limitée à sa partie européenne (11 millions d'habitants), est la première ville de Turquie et la deuxième agglomération d'Europe après celle de Moscou et devant celles de Londres et Paris[1].

Pourtant Istanbul ou Constantinople, bien qu'elle se situe sur la rive européenne du Bosphore, ne figure pas dans les listes de villes d'Europe et l'expression historique « c'était alors la première ville d'Europe » fleurit dans la majeure partie des publications occidentales, à propos d'Aix-la-Chapelle, Cordoue, Londres ou Paris, en ignorant la métropole du Bosphore, considérée comme asiatique.

L'Asie est certes en face, à Üsküdar, jadis Chrysopolis (la « cité d'or »). Cela a contribué à la prospérité du lieu, mais aussi, depuis les guerres médiques, à rejeter dans un « Orient » méprisable, synonyme de décadence, de despotisme, de maladies aux yeux de l'inconscient collectif occidental[2], l'ensemble des brillantes puissances impériales qui se sont succédé sur les deux rives du Bosphore. Cela vaut pour les perses, les macédoniens, les royaumes hellénistiques, les romains d'Orient dits byzantins et évidemment pour les turcs ottomans et cela englobe les Balkans, à l'exception parfois de la Grèce perçue par les philhellènes comme « matrice de la civilisation occidentale »[3], mais aussi considérée comme « pervertie par l'influence asiatique » par les hellénophobes[4].

Cette perception occidentale n'est pas seulement un phénomène intellectuel mais aussi politique : la procédure d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne piétine et la Turquie moderne, héritière d'un mille-feuilles civilisationnel méconnu (y compris par ses ressortissants) mais qui depuis Mustafa Kemal a aussi absorbé la laïcité républicaine et l'égalité des sexes, se retourne de plus en plus, avec le régime de l'AKP, vers ses racines antérieures, pratiquant au XXIe siècle une politique que ne renieraient pas les sultans ottomans.

C'est dans ce contexte (qui favorise aussi, depuis le Congrès de Berlin au XIXe siècle, les nationalismes des divers pays balkaniques) qu'intervient la demande de reconversion en mosquée de la très symbolique basilique Sainte-Sophie, que le président Recep Tayyip Erdoğan a soutenue[5] et qui a reçu une réponse favorable de la cour suprême turque[6].

Notes

  1. Sources dans les articles Géographie de l'Europe, Balkans et Géographie de la Turquie.
  2. Thouvenel, dans sa lettre de 1852 à Napoléon III conservée aux Archives nationales (microfilms sous la cote 255AP sur Archives nationales) écrit ainsi, sans la moindre argumentation, que « l'Orient est un ramassis de détritus de races et de nationalités dont aucune n'est digne de notre respect ».
  3. Alain Brunet, La civilisation occidentale, Hachette, coll. "Faire le Point", 1985 (ISBN 2010109449)
  4. Abbé René-François Rohrbacher, Histoire universelle de l'église catholique, tome 25, Gomme-Duprey, Paris 1859
  5. Marie Jégo, « En Turquie, Erdogan ressasse son rêve de changer Sainte-Sophie en mosquée », Le Monde du 30 mai 2020 - [1]
  6. Mathieu Laurent, Stanislas Vasak et Benoît Bouscarel, « Sainte-Sophie redevient mosquée », France Culture, (consulté le ).