Sobriété économique

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La sobriété économique est le « juste niveau » de limitation imposée pour ne pas dépasser « Les Limites à la croissance », c'est à dire les limites planétaires[réf. souhaitée], dans le contexte de la soutenabilité de l'économie.

La sobriété économique telle qu'envisagée et proposée par les mouvements écologistes (en anglais sufficiency) et altermondialistes, appuyée par le travail des économistes du Club de Rome, synthétisé dans leur rapport Les Limites à la croissance, vise à diminuer conjointement la consommation d'énergie et de ressources naturelles (matériaux) tout en assurant les besoins vitaux d'un plus grand nombre d'individus grâce à un meilleur partage des ressources. En ce sens, la sobriété est complémentaire de l'éco-efficience et de l'éco-effectivité[1]. Elle est associée aux notions de transition énergétique, de frugalité, de minimalisme, de décélération, de low tech, de résilience, de décroissance, de zéro déchet, allant parfois jusqu'à l'abstinence ou à l'ascèse par le rejet de ce qui encombre et est inutile[2].

La notion de sobriété a une dimension d'éthique environnementale. Elle est de plus en plus considérée comme une condition nécessaire à la protection et à la restauration de l'environnement et du climat[réf. nécessaire]. Elle peut se décomposer en sobriété énergétique, sobriété numérique et sobriété matérielle, pour aboutir selon des auteurs tels que Pierre Rabhi à la « sobriété heureuse » s'appuyant sur un « hédonisme de la modération » et une « simplicité volontaire » ou la « vie bonne ».

L'Histoire du progrès au XXe siècle et au début du XXIe siècle montre que les stratégies environnementales d'ordre technique, telles que l'augmentation de l'efficience énergétique et l'optimisation des ressources, les transitions énergétiques ou l'utilisation accrue de ressources régénératives, ne suffisent pas à conduire à la baisse globale de consommation de ressources difficilement, coûteusement ou lentement renouvelables, principalement à cause de l'« effet rebond ».

La sobriété économique implique de profonds changements de comportements, individuels et collectifs, qui impliquent des transformations sociétales remettant en cause la société de consommation industrielle, telle qu'elle s'est développée grâce aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et nucléaire[réf. nécessaire].

Concept[modifier | modifier le code]

Le concept semble avoir été employé pour la première fois en 1993 dans le monde germanophone par Wolfgang Sachs[3], qui expliquait :

« Dans les faits, on ne peut s'approcher d'une société respectueuse de la nature que de deux façons : par une rationalisation intelligente des moyens et par une limitation astucieuse des objectifs. En d'autres termes : la révolution de l'efficacité ne voit pas la direction à prendre si elle n'est pas accompagnée par la révolution de la sobriété[4]. »

Wolfgang Sachs définissait la sobriété avec « quatre D »[5] :

  • décélérer (aller moins vite moins loin) ;
  • désencombrer (accumuler moins de biens) ;
  • décentraliser (choisir le local et le régional) ;
  • démarchandiser (laisser moins de place au marché dans sa vie).

Manfred Linz décrit la sobriété comme la recherche d'un juste niveau dans ces domaines. Il définit l'éco-sobriété comme « mode de vie et d'économie qui met fin à la consommation excessive de biens et, partant, de matière et d'énergie »[6]. Aussi associe-t-il l'éco-efficience à la consistance . On ne peut y arriver qu'au travers d'une faible demande en biens et services qui seraient à l'origine d'une consommation de ressources trop élevée[7]. Le changement de système de pensée ici requis est considéré comme plus difficile que celui qui consiste à s'adapter à de nouvelles technologies[8],[9].

En France, il est question de « sobriété heureuse »[10], d'« hédonisme de la modération »[11] ou de « simplicité volontaire » ou de la « vie bonne ». Le philosophe Paul Ricœur décrit sept besoins essentiels[Lesquels ?][12].

Sont distinguées la « sobriété d’usage », la « sobriété de substitution », la « sobriété dimensionnelle » et la « sobriété collaborative »[réf. nécessaire]. La sobriété s'adresse aussi bien aux individus qu'à la société dans son ensemble[13],[14] aujourd'hui, par opposition à une sobriété punitive ou imposée et subie dans le futur proche conséquence du dépassement des limites planétaires.

Pour valoriser pleinement le potentiel d'économies d'énergie, il convient de combiner la sobriété énergétique avec l'efficacité énergétique[15]. L'efficacité énergétique seule entraîne des risques d'effet rebond (qui réduit les bénéfices prévus) et occulte la possibilité d'éviter complètement des dépenses énergétiques par la sobriété (par exemple, en séchant la lessive sur un fil plutôt que dans une machine)[15].

Recherche[modifier | modifier le code]

La recherche s'intéresse aux conditions individuelles, sociales et politiques qui empêchent la consommation mesurée. Elle étudie comment il est possible de viser une consommation mesurée. Cela comprend la façon dont le comportement de consommation de la société de gaspillage (throw-away society) et l'articulation de la perception du bien-être aux biens matériels peuvent être modifiés. Et cela inclut les conséquences sur la structure économique et sur la croissance d'un agissement mesuré des ménages, entreprises et institutions[réf. nécessaire].

Le congrès de 2011 de l'Association allemande pour une économie écologique place la sobriété au cœur d'un champ de contraintes entre le bonheur et le renoncement[16]. Tout comme l'éco-efficience, la sobriété n'est pas exempte d'effets rebond[17].

La recherche évalue encore quelle part de sobriété, à côté de l'efficience et de la consistance, est nécessaire pour atteindre la protection efficiente de la nature. Les effets rebond constituent une menace et justifient la sobriété, tout comme le changement climatique, la diminution des ressources et la perte de biodiversité[réf. souhaitée].

L'Académie des technologies estime qu'en matière de réchauffement climatique, la « sobriété est nécessaire à court terme, car la technologie ne [suffit] pas à faire face à l’urgence climatique ». De manière plus générale, elle affirme que la « sobriété est nécessaire au progrès et [que] le progrès est nécessaire à la sobriété »[18].

Instrument d'atténuation du réchauffement climatique[modifier | modifier le code]

Accord de Paris[modifier | modifier le code]

La Fondation pour la nature et l'homme ainsi que l'association négaWatt regrettent que la sobriété ne fasse l'objet d'aucune mention dans le cadre de l'accord de Paris. En effet, selon eux, les énergies renouvelables ne sauraient s'ajouter à la production actuelle d'énergie : elles doivent s'y substituer [19]. Pour ce faire, la seule voie possible est celle de la sobriété[réf. nécessaire].

Sixième rapport d'évaluation du GIEC[modifier | modifier le code]

Le troisième volet du sixième rapport d'évaluation du GIEC, paru en 2022, identifie la réduction de la demande comme un instrument majeur d'atténuation. Celle-ci peut être obtenue à la fois par l'adoption de technologies bas-carbone ou offrant une meilleure efficacité énergétique, par des changements dans l'utilisation des infrastructures, et par des transformations socio-culturelles. La sobriété (sufficiency en anglais), en énergie comme en matériaux, est explicitement évoquée dans le chapitre 9 du rapport, consacré au secteur du bâtiment[20],[21],[22],[23].

En France[modifier | modifier le code]

Les Agenda 21, puis les plans climat, la SNBC, s'appuient dans une certaine mesure, et plus ou moins selon les collectivités, sur le concept de sobriété matérielle et énergétique en tant que levier majeur pour atteindre leurs objectifs propre et les objectifs climatiques de la France, de l'Europe et de l'ONU (Accord de Paris sur le climat). Il vise notamment à rester sous les +°C et si possible sous les 1,5 °C).

De nombreuses agglomérations (à travers leurs plans climat-air-énergie territoriaux) et d'autres collectivités françaises intègrent la sobriété comme levier stratégique[réf. nécessaire]. Certaines régions ont mis en place des GRECs (équivalents locaux du GIEC). À titre d'exemple, l'Île-de-France a collaboré avec la ville de Paris pour renforcer l'action publique de Paris vers une transition socio-écologique appuyée sur une « sobriété énergétique et matérielle »[réf. nécessaire]. Ce travail s'est fondé sur une analyse de la littérature scientifique disponible et sur des documents stratégiques[Lesquels ?] de la ville. Ils montrent que des enjeux majeurs sont : de ne pas prioriser l'efficacité au détriment de la sobriété ; la nécessité d'une politique globale de sobriété intégrant tous les secteurs et territoires, en veillant à l'équité, à la justice sociale et à la coopération inter-territoriale sur le sujet, afin de gérer les impacts environnementaux aux bonnes échelles territoriales. Cela implique des apprentissages collectifs de coordination inter-acteurs, de prise en compte des impacts extraterritoriaux, pour une mobilisation culturelle de la ville dans la promotion de la sobriété. Pour une mise en œuvre opérationnelle, ce travail a recommandé[24] :

  • de coordonner les acteurs opérationnels décisionnaires en matière d'économie circulaire, notamment dans le BTP, concernant la sobriété énergétique des constructions et les biodéchets pour l'agriculture ;
  • de produire une grille d'analyse multicritère « sobriété » pour analyser les dépenses majeures de la ville et les décisions clés de sa politique d'allocation du foncier et des locaux ;
  • d'expérimenter des protocoles de recherche d'alternatives écologiques aux infrastructures à forte empreinte écologique, en partant du service rendu à l'usager, pour prioriser les besoins essentiels, en mobilisant la pluralité des savoirs.

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (de) Joseph Huber, Nachhaltige Entwicklung durch Suffizienz, Effizienz und Konsistenz, Éditeur Peter Fritz, p. 31-46.
  2. (de) Niko Paech et Björn Paech, « Suffizienz plus Subsistenz ergibt ökonomische Souveränität : Stadt und Postwachstumsökonomie », oekom e.V. – Verein für ökologische Kommunikation (Hrsg): Post-Oil City. Die Stadt von morgen,‎ , p. 54-60.
  3. (de) Gerhard Scherhorn, Über Effizienz hinaus, in Hartard, Schaffer & Giegrich (Hrsg.), Ressourceneffizienz im Kontext der Nachhaltigkeitsdebatte, Baden-Baden, 2008, Nomos Verlag.
  4. (de) Wolfgang Sachs, Die vier E's: Merkposten für einen maß-vollen Wirtschaftsstil, pages 69-72. Citation originale : « Einer naturverträglichen Gesellschaft kann man in der Tat nur auf zwei Beinen näherkommen: durch eine intelligente Rationalisierung der Mittel wie durch eine kluge Beschränkung der Ziele. Mit anderen Worten: die „Effizienzrevolution“ bleibt richtungsblind, wenn sie nicht von einer „Suffizienzrevolution“ begleitet wird ».
  5. Uwe Schneidewind (de) et Angelika Zahrnt, « La vie bonne est une question politique », La revue durable, numéro 61 (« Sobriété et liberté : à la recherche d'un équilibre »), été-automne 2018, pages 26-29. En allemand, les « quatre E » : Entschleunigung, Entflechtung, Entrümpelung et Entkommerzialisierung.
  6. Manfred Linz, wupperinst.org
  7. (de) « Wachstum und Ressourcenverbrauch », sur Wachstum im Wandel (consulté le ).
  8. (de) Joachim Lohse (Geschäftsführer), « Die Suffizienz ist politisch ungleich heikler als die Effizienzfrage » », Öko-Institut.
  9. (de) Kai Biermann, « Klimawandel: Das V-Wort », Die Zeit.
  10. Michel Gueldry, Pierre Rabhi, Vers la sobriété heureuse, (ISSN 1492-8442, DOI 10.4000/vertigo.11534).
  11. Yannick Rumpala, « Quelle place pour une « sobriété heureuse » ou un « hédonisme de la modération » dans un monde de consommateurs ? », L'Homme & la Société, vol. 208, no 3,‎ , p. 223–248 (ISSN 0018-4306, DOI 10.3917/lhs.208.0223).
  12. Thierry Brugvin, « Le marketing s’appuie sur nos peurs pour nous faire consommer plus », Revue Possibles, vol. 41, no 1,‎ , p. 207–213 (ISSN 0703-7139 et 0703-7139, DOI 10.62212/revuepossibles.v41i1.287).
  13. « Sobriété énergétique : mieux consommer, moins consommer, changer de modèle énergétique ? », sur connaissancedesenergies.org, .
  14. La Résilience des territoires : Pour tenir le cap de la transition écologique, t. I : Comprendre, The Shift Project, (lire en ligne [PDF]), p. 27.
    The Shift Project reprend ici des éléments de l'association négaWatt.
  15. a et b Kris de Decker, « L'insoutenable légèreté du concept d'efficience énergétique », La revue durable, numéro 61 (« Sobriété et liberté : à la recherche d'un équilibre »), été-automne 2018, pages 33-35.
  16. (de) Jubiläumstagung 2011: „Suffizienz: Verzicht oder Glück!?“
  17. Blake Alcott : « The sufficiency strategy: Would rich-world frugality lower environmental impact? »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?) [PDF], Ecological Economics, 64, 2007, no 4, p. 770–786.
  18. Matières à penser sur la sobriété : Synthèse du séminaire 2022 de l’Académie des technologies, Académie des technologies, (lire en ligne [PDF]), v-vi.
  19. La sobriété énergétique, pièce cachée mais essentielle du puzzle d’un accord ambitieux et équitable [PDF], communiqué de presse, association négaWatt et Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme.
  20. (en) Aruna Chandrasekhar, Daisy Dunne, Simon Evans, Josh Gabbatiss, Zeke Hausfather, Robert McSweeney, Ayesha Tandon et Giuliana Viglione, « In-depth Q&A: The IPCC’s sixth assessment on how to tackle climate change », sur carbonbrief.org, Carbon Brief, (consulté le ).
  21. (en) Céline Guivarch, « Climate change mitigation: time for action », sur ingenius.ecoledesponts.fr, École nationale des ponts et chaussées, (consulté le ).
  22. Emilie Wood, « Selon le GIEC, il est urgent d'introduire le concept de sobriété », sur batirama.com, Batirama, (consulté le ).
  23. Pauline Mouterde, « La sobriété, un levier pour accélérer la lutte contre le dérèglement climatique », Le Monde,‎ (lire en ligne).
  24. « Des carnets pour éclairer l’action publique – Ville de Paris – GREC francilien » (consulté le ).
    Voir aussi Sobriété énergétique et matérielle urbaine : Significations, usages et enjeux en regard des politiques publiques de la Ville de Paris ([1] [PDF], 4 pges), fiche de « synthèse des apprentissages collectifs ».

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (de) Wolfgang Sachs, Die vier E's : Merkposten für einen maß-vollen Wirtschaftsstil, Institut de Wuppertal, , PDF (lire en ligne).
  • (de) Felix Ekardt, Jahrhundertaufgabe Energiewende : Ein Handbuch, .
  • (de) Felix Ekardt, Theorie der Nachhaltigkeit : Rechtliche, ethische und politische Zugänge : am Beispiel von Klimawandel, Ressourcenknappheit und Welthandel (réimpr. 2015) (1re éd. 201).
  • (de) Manfred Linz, Weder Mangel noch Übermaß : über Suffizienz und Suffizienzforschung, Institut de Wuppertal, , PDF (lire en ligne).
  • (de) Uta von Winterfeld, Frederik Lippert, Alicja Darksi et Claudia Kaiser, Eine nachhaltige Gesellschaft braucht Suffizienz, (lire en ligne).
  • (de) Oliver Stengel, Die Konsumgesellschaft in der ökologischen Krise, oekom verlag, (ISBN 978-3-86581-280-3, lire en ligne).
  • (de) Konrad Ott et al., Suffizienz : Umweltethik und Lebensstilfragen, Heinrich Böll Stiftung, coll. « Vordenken - Ökologie und Gesellschaft 2 », , PDF (lire en ligne).
  • (en) Thomas Princen, The Logic of Sufficiency, MIT Press, Cambridge, 2005.
  • (en) Mark A. Burch, The Hidden Door: Mindful Sufficiency as an Alternative to Extinction. Simplicity Institute, Melbourne, 2013.
  • (de) Uwe Schneidewind, Angelika Zahrnt, Damit gutes Leben einfacher wird: Perspektiven einer Suffizienzpolitik, Oekom Verlag, 2013.
  • (de) « Vom rechten Maß : Suffizienz als Schlüssel zu mehr Lebensglück und Umweltschutz », Politische ökologie, no 135,‎ .

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]